JE ME SUIS DISSOUTE LORSQUE J’AI DÉCOUVERT CETTE FIBRE ANIMÉE ET ON S’EST ÉVAPORÉ·E·S À L’INTÉRIEUR

« On » exclut la personne qui parle

Détail d’une veste chinée, assemblée et brodée d’après un diagramme cardioïde de co-action d’Edward Haskell, 2024.

Photo © Mélodie Bajo – 2024

Quels sont les mécanismes d’adaptation que mettent en place les espèces pour subsister ? Quels sont ceux des humain·e·s pour évoluer en société ? Quelles formes de protection les espèces mettent-elles en place ? Et nous, quels systèmes de protection nous utilisons dans nos interactions et relations sociales ?

Je me suis dissoute lorsque j’ai découvert cette fibre animée et on s’est évaporé·e·s à l’intérieur aborde le concept de neurodiversité en l’associant à celui de biodiversité. Cette recherche consiste à interroger nos rôles sociaux et nos façades sociales au sein de nos interactions quotidiennes et leurs impacts sur nos identités, par le biais d’une mise en relation avec des recherches sur la biodiversité, notamment en ce qui concerne les interactions biologiques, les mécanismes d’adaptation des espèces et leurs systèmes de protection. En ce sens, ce travail cherche également à questionner les processus d’essentialisation et leurs relations avec la classification des catégories présentes dans divers domaines scientifiques.

Je me suis dissoute lorsque j’ai découvert cette fibre animée et on s’est évaporé·e·s à l’intérieur est mené par un personnage s’empare de «moi» lorsque je suis en résidence. Il s’en saisit grâce à une diminution progressive du sommeil, une privation graduelle de nourriture, des marches effrénées, un rythme de travail frénétique, qui amènent à un épuisement manifeste et permet d’entrer dans un «autre» état de conscience, comme une forme de transe. Cette hygiène de vie est pratiquée dans la perspective d’enlever des couches de mon faux-self (qui est une instance, plus ou moins grande, de nature défensive ou adaptative, présente chez chaque individu, visant à protéger le vrai-self, qui est la position théorique d’où provient le geste spontané et l’idée personnelle).

Ce personnage ne parle qu’avec le pronom indéfini « On », il n’est pas vraiment humain, pas vraiment tout seul, n’a pas vraiment de genre, a soif d’utopie mais est très souvent dans la contradiction, il tente beaucoup de choses mais échoue aussi énormément. C’est un peu un savant fou ou un ignorant fou, tout dépend des points de vue.

Son existence fait directement écho à un diagnostic, que j’ai reçu il y a un an environ, confirmant chez moi la présence de sévères troubles du neuro-développement. En conséquence, les questions de neurodivergence, de neurodiversité, de neuroatypie et donc de neurotypie, me tourmentent tout particulièrement, aussi bien d’un point de vue personnel que politique (les troubles du neuro-développement sont généralement héréditaires, mais peuvent rester en sommeil et se déclenchent, la plupart du temps, lorsque la personne subit des traumatismes).

Une question a émané de cela :

  • Est-ce que les personnes neurotypiques existent-elles vraiment ?

Afin de mener à bien sa recherche, ce personnage tente de répondre, comme il peut, à ces deux questions :

  • Est-ce qu’il serait possible qu’il n’y ait que des interactions biologiques et sociales qui soient à l’avantage de toutes les parties et en toutes circonstances ?
  • Comment la vie survivrait-elle ?

Par le biais d’une recherche théorique et plastique, mise en scène au sein même
de l’atelier-logement, ce personnage essaye de répondre à ces questions, d’apprivoiser le chaos de nos réalités et de créer une mutation par le langage, en inventant des mots, en se hasardant à réfléchir une nouvelle langue, en envisageant un éventuel avenir à nos interactions biologiques et sociales et en faisant des projections sur notre monde futur, par le biais de la confection de grands et étranges diagrammes, fabriqués avec des tissus chinés, récupérés, recyclés à Montréal et à Matapédia.

Travail issu d’une résidence à la Fonderie Darling, Montréal, QC et à la Gare de Matapédia, QC, en partenariat avec l’isdaT, entre décembre 2023 et février 2024. Production : Institut Supérieur des Arts de Toulouse et la Fonderie Darling, Montréal, QC.

Vues de l’atelier-logement à la Fonderie Darling et détails des pièces réalisées pendant la résidence.

Photos © Mélodie Bajo – 2024